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Genèse
En 1916, Estienne, alors commandant de l'artillerie d'assaut, décida de pourvoir l'Armée Française d'un char lourd fortement blindé. L'étude donnera finalement naissance à un véritable monstre de 70 t, le FCM 2C. C'est en octobre 1916, que les Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM) de Seyne-sur-Mer (Var) débutèrent le développement du futur char lourd français. Un premier projet, le FCM 1A de 40 t, armé d'un canon de 105mm, fut proposé en janvier 1917. L'autorisation fut donnée à la FCM de réaliser 3 prototypes. Le 1er décembre 1917, le FCM 1A est proposé à une commission dont fait partie Estienne. Ce dernier recommande le remplacement du canon de 105mm par un canon de 75mm et le renforcement du blindage. On s'oriente dès lors vers un char de la classe des 70 t : le FCM 2C.
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FCM 1A. -
Pétain, au début 1918, alors Commandant en Chef, était très favorable à l'adoption par les divisions françaises de chars lourds. Une commande de 500 chars fut passée le 19 janvier 1918, mais fut remplacée par une commande plus raisonnable de 300 exemplaires, le 18 septembre. La mise en service du FCM 2C était prévue pour l'offensive projetée en avril 1919 et la production devait débuter en octobre 1918 avec une cadence de production de 100 exemplaires par mois. Cependant, il fut vite évident que FCM ne pourrait pas respecter ces exigences en raison de difficultés d'approvisionnements en matières premières et du manque d'ouvriers qualifiés. La cadence de production fut donc plus raisonnablement ramenée à 48 exemplaires par mois.
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FCM 2C « Berry », 31 mars 1928. -
Dans ces conditions, le Grand Quartier Général ne pouvait raisonnablement espérer plus de 200 FCM 2C pour la fameuse offensive. En réalité, un total de 80 chars disponibles était plus réaliste selon le général Foch. Il était encore bien au-dessus de la triste réalité car le projet pris 1 an de retard. Après l'Armistice, la production du FCM 2C fut abandonnée alors que seulement 10 exemplaires étaient en cours de montage. Ces engins furent finalement livrés en 1921. En fait, ces exemplaires correspondaient à une présérie commandée à titre expérimental. La priorité en raison des capacités industrielles et de la réalité économique fut donnée aux chars légers.
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Design
Avec le FCM 2C, les Français avaient véritablement fait dans la démesure. En effet, ce mastodonte d'acier mesurait 10,27 m de long et presque 4 m de haut, pour un poids de combat de 70 t ! Son blindage de 45mm à l'avant, 22mm sur les côtés et 13mm à l'arrière pouvait résister (quasiment) à tous les canons de la 1ère Guerre Mondiale. Les tourelles avaient un blindage de 35mm à l'avant et de 22mm pour le reste. Ces normes étaient cependant dépassées à l'aube de la 2ème Guerre Mondiale, du moins pour un char lourd. Propulser un tel monstre n'était pas une sinécure. À l'origine, 2 moteurs Chenu de 100 ch furent installés, mais ils étaient bien incapables de faire mouvoir correctement le 2C. Ils furent remplacés dans un premier temps par des moteurs allemands Mercedes de 200 ch (à l'origine destinés aux Zeppelins, et cédés à la France après l'Armistice), puis finalement par un Maybach de 6 cylindres, développant 250 ch. Avec ces moteurs le FCM 2C était capable d'atteindre les 12-15 km/h selon le terrain, et la consommation de carburant procurait au char une autonomie de 100 km. En accord avec les exigences d'Estienne, le FCM 2C pouvait franchir des obstacles verticaux de 1,70 m, traverser un guet profond de 1,40 m, et franchir un fossé de 4,25 m de large (cela correspondait à la largeur des écluses des canaux du Nord et de l'Est de la France). L'équipage était pléthorique et composé de pas moins de 12 hommes. L'armement était tout à fait satisfaisant pour l'époque, tant au niveau de la puissance de feu que du nombre. Il était composé d'un canon et d'une mitrailleuse sous tourelles et de 3 mitrailleuses de caisse. Le canon monté dans la tourelle avant était un APX 1897 de 75mm (produit à l'origine par les Ateliers de Puteaux pour les sous-marins français). Il pouvait faire feu horizontalement sur 320° seulement car il y avait un angle mort à l'arrière de la tourelle. Le pointage en site s'étendait de -20° à +20° et la visée se faisait grâce à une lunette graduée en distance jusqu'à 2 km (taux de grossissement : x2,5). La tourelle arrière était armée d'une mitrailleuse de 8mm, et pouvait faire feu horizontalement sur 260° seulement car il y avait un angle mort à l'avant. La tourelle arrière recoupait sur environ 110° la champ de tir de la tourelle avant. Les 3 autres mitrailleuses de 8mm installés sur la caisse possédaient des champs de tir horizontaux d'environ 50° pour celle installée à l'avant et de 90° pour les mitrailleuses latérales. L'emport en munitions était pour le combat de 124 obus de 75mm et 9 500 munitions de 8mm.
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Les dimensions, le poids et la motorisation du FCM 2C causèrent aux Français un soucis de taille ; son transport sur de longue distances ! En effet en raison de sa lenteur et de ses dimensions hors normes, il n'était pas réaliste de faire voyager le FCM 2C sur les routes de campagne, sur de longues distances. En effet, de nombreux obstacles pouvaient se présenter comme l'étroitesse des rues de villages, des ponts, ... faisant faire au char de nombreux détours. Il était donc évident que seul le transport ferroviaire était envisageable. Il y avait cependant un obstacle de taille, la hauteur du char ! En effet, avec sa hauteur de 4 m le char ne pouvait pas être monté sur un wagon ordinaire, car sa hauteur additionnée à celle du wagon aurait rendu impossible le passage du convoi ferroviaire sous de nombreux ponts et tunnels. Pour passer outre ce problème, les concepteurs français créèrent 2 chariots ferroviaires. Ces chariots étaient installés à l'avant et à l'arrière du char et ce dernier suspendu entre ces 2 éléments, formait en quelque sorte la partie centrale du wagon. Le gain de hauteur permettait désormais le passage du convoi sous la plupart des ponts et tunnels. Cependant ce montage spécial était long et délicat et nécessitait l'intervention d'un matériel spécifique et surtout une portion de voie ferrée rectiligne aux abords dégagés. En définitive le transport d'une section de 3 chars nécessitait un train complet ! Autre désavantage, le convoi ne pouvait supporter des courbes d'un rayon inférieur à 75 m, ce qui nécessitait une planification de trajet rigoureuse. On le voit, le transport du FCM 2C devait faire face à de nombreuses contraintes et dépendait dangereusement de l'état du réseau ferroviaire.
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51ème Bataillon de Chars Lourds, France, juillet 1939. -
1ère Compagnie, 51ème Bataillon de Chars Lourds, France, hiver 1939-1940. Ce char ne porta que peu de temps son insigne sinistre et spectaculaire... il ne plaît pas au général Bruneau (chef des chars de la 3ème Armée)... trop allemand à son goût. -
Conversions
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FCM 2C bis
En 1926, un FCM 2C fut converti en FCM 2C bis, un véhicule expérimentale armé d'un obusier de 155mm dans une tourelle moulée, et doté de 2 nouveaux moteurs. Le FCM 2C bis pesait dans les 74 t. Cependant cette conversion fut provisoire et le char fut reconverti en FCM 2C lors de la même année. La tourelle fut installée sur la ligne Mareth en Tunisie.
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Le FCM 2C bis qui fut modifié là où la tourelle fut complètement changée et le canon de 75mm fut remplacé par un obusier de 155mm. Trois mitrailleuses furent retirées et cela augmenta le poids à 74 t. -
FCM 2C surblindée
Un exemplaire (le Lorraine) fut recuirassé pour pouvoir résister aux canons AT allemands. Le blindage frontal atteignait les 90mm et le blindage latéral, 65mm, poussant le poids du char à 75 t.
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Le « Normandie » après avoir reçu un sur-blindage.
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En Action
Les dix chars faisaient partie de plusieurs unités consécutives, leur force organique fut à un moment donné réduite à 3. Leur valeur militaire diminua lentement à mesure que des chars plus avancés étaient développés tout au long des années 20 et 30. À la fin des années 30, ils étaient en grande partie obsolètes, car leur vitesse lente et leur profil élevé les rendaient vulnérables aux progrès des canons AT. Néanmoins, lors de la mobilisation française de 1939, les 10 furent déployés et intégrés dans leur propre unité, le 51ème Bataillon de Chars de Lourds. Pour la propagande, chaque char avait été nommé d'après l'une des anciennes régions de France, les numéros 90-99 étant nommés Poitou ; Provence ; Picardie ; Alsace ; Bretagne ; Touraine ; Anjou ; Normandie ; Baie ; Champagne respectivement. En 1939, le Normandie pris le nom de Lorraine. Comme leur principale valeur était la propagande, les géants furent soigneusement tenus à l'écart du danger et ne participèrent pas à l'attaque de septembre 1939 sur la ligne Siegfried. Ils furent utilisés à la place pour de nombreux films remontant le moral, dans lesquels ils étaient souvent montrés en train d'escalader et d'écraser de vieux forts français. Pour le public, ils acquièrent la réputation de super chars invincibles, dont les dimensions imaginées dépassaient de loin les détails réels.
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FCM 2C n°97 « Lorraine » capturé par les forces allemandes dans l'ouest de la France, été 1940. -
Le Commandement Français était conscient que cette réputation n'était pas méritée. Lorsque les Panzerdivisions allemandes, lors de l'exécution de l'opération Fall Rot, franchirent les lignes françaises après le 10 juin 1940, la décision fut prise d'empêcher la capture du fameux équipement. Le 12 juin 1940, l'ordre fut donné d'envoyer les chars vers le sud par transport ferroviaire. Les chars N°92 et 95 en panne furent détruits, respectivement à Mairy-Mainville et Piennes. Les six chars restants embarquèrent précipitamment dans 2 trains en gare de Landres le 13 juin. Pendant la nuit ils se cachèrent, toujours chargés, dans la forêt de Badonviller. Comme aucun ordre n'avait été reçu concernant leur destination, ils restèrent à cet endroit le 14, bombardés en début d'après-midi mais sans subir de dommages. En fin d'après-midi, un ordre arriva pour envoyer les chars à Neufchâteau qui fut atteint au petit matin du 15 juin. Là, il fut décidé de se rendre à Dijon. Cependant, à une quinzaine de kilomètres au sud de Neufchâteau près de la gare de Meuse-sur-Meuse, dans une courbe de la voie ferrée, la voie fut bloquée par un train de carburant en feu, tandis que d'autres trains bloquèrent la sortie par l'arrière. En raison de la courbe, il était impossible de décharger les chars. Pour empêcher une capture du matériel par l'ennemi, il fut ordonné de détruire les véhicules. Des charges furent placées et les tuyaux de carburant coupés. L'essence fut allumée et les chars explosèrent vers 19h00. Les équipages s’enfuirent vers le sud. Les épaves furent ensuite découvertes par la 8ème Panzerdivision. Plus tard, Joseph Goebbels et Hermann Goering affirmèrent que les chars avaient été détruits par des bombardiers en piqué allemands. Ce mythe de la propagande allemande fut accepté comme un événement authentique par les écrivains contemporains et répété plus tard dans de nombreuses sources d'après-guerre. Un char, le Champagne, fut néanmoins capturé plus ou moins intact et amené à Berlin pour être exposé comme trophée de guerre jusqu'à sa disparition en 1948. Après la guerre, des rumeurs circulaient selon lesquelles ce véhicule avait été transporté en URSS.
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FCM 2C n°99 « Champagne » capturé par les forces allemandes dans l'ouest de la France, été 1940.
FCM 2C