-
-
Genèse
Le développement des chars russes dans les années 30, fut grandement influencé par l’ingénieur allemand Edward Grotte, en raison des traités d'entraide signés avec l'Allemagne nazie alors alliée de l'Union Soviétique. En 1931, Grotte proposa le TG-I dont la technologie et la mise au point était trop en avance pour les capacités industrielles russes de l'époque. En 1932, Grotte proposa le TG-IV, un char multi-tourelles de 75 t qui ne sera pas accepté également. Il fut suivi par le TG-V, un T-35 plus gros, mieux protégé et mieux armé (désigné par les autorités russes T-42 Polutankov ... nom de sa suspension hydropneumatique) d'une masse d’environ 100 t. Il devait être propulsé idéalement par moteur de 1 500 ou 2 000 ch et armé d'un canon principal de 107mm. Les militaires russes examinèrent les plans durant l'été 1932. Les contraintes liées à la production, l'équipement (absence d'une motorisation existante crédible), le ravitaillement et l'usage sur le terrain d'un tel monstre furent jugées trop importants. Au final le choix des autorités russes se porta sur le T-35 plus modeste bien que de configuration similaire (5 tourelles), dont la production en série était plus envisageable pour l'industrie soviétique.
-
Attention, la description technique qui suit découle des études préliminaires de Grotte, et les représentations présentées dans ce dossier sont sujettes bien entendu à caution en raison de certaines caractéristiques non connues ou restées floues en raison d'une documentation trop fragmentée.
-
Design
-
Armement
La tourelle principale qui pouvait pivoter sur 360°, devait accueillir un canon de campagne Mod. 1910/30 de 107mm (calibre réel : 106,7mm) polyvalent pouvant utiliser une vaste gamme de munitions : OF-420 HE de 17,2 kg à longue portée (16 km), Shrapnel Sh-422, Fumigène D-422U, Incendiaire Z-420, voir des obus chimiques. Ce canon avait une cadence de tir de 5-6 coups/min en tant que pièce tractée. Dans l'espace confiné d'une tourelle de char, cela devait être moindre. Cette arme aurait pu fournir un appui-feu très efficace, surtout en comparaison avec le T-35 seulement armé d'un obusier KT-28 de 76,2mm possédant une portée maximum de 6 763 m seulement. De plus les capacités AT du canon principal du T-42 auraient été très appréciables car il aurait pu avec ses obus B-420 de 18,71 kg (avec une vitesse initiale de 655 m/s) détruire tous ses adversaires de l'époque. Cependant, l'usage principal de ce canon aurait été l'appui-feu de l'infanterie, le combat AT étant dévolu en principe aux 2 canons de 45mm. Ces deux derniers étaient installés dans les 2 tourelles installées côte à côte à l'avant du char (également installée sur les BT-2). Le Mod. 1932/38 (20-K) de 45mm était une arme AT avec une vitesse initiale de 757 m/s. Ses obus BR-240SP avec une trajectoire très tendue et étaient capable de percer 51mm de blindage à 100 m sous une incidence de 90°. La cadence de tir était de 12 à 15 coups/min. Des obus plus performants étaient aussi disponibles comme les APCR UBR-243P. Ces pièces pouvaient aussi assurer l'appui-feu avec des HE-Frag ou shrapnels... mais seul le canon de 107mm pouvait engager des objectifs fortement protégés. Les deux tourelles arrière ne devaient en principe n'accueillir que des mitrailleuses DT de 7,62mm (520 coups/min)... Je ne sais pas pourquoi sur les plans et représentations trouvés ici et là, elles semblent accueillir 2 canons de moindre calibre. D'autres mitrailleuses DT étaient également couplés aux canons de 45mm et de 107mm. Selon certaines sources, les tourelles arrière avaient une vocation AA.
-
Blindage
En raison de son poids déjà conséquent d'environ 100 t et de ses dimensions hors normes, il était impossible de trop épaissir le blindage (sans faire exploser encore plus le poids) et ainsi garantir un minimum de mobilité et de fiabilité mécanique au char. Ainsi, il ne dépasse pas les 70mm d'épaisseur pour les parties frontales et selon les sources 45mm pour les parties latérales et arrières, ce qui est peu pour un tel géant. Ce problème était déjà celui du T-35. Cependant les 70mm frontaux, le mettait à l'abri de la plupart des AP allemandes au moment de l'invasion de 1941.
-
Suspension
Le train de roulement du T-42 est dérivée de celle du T-35 mais allongé par rapport à celui-ci pour compenser les 56 t supplémentaires du char et mieux répartir son énorme masse. Ce train comprenait 17 double galets ; dont 12 étaient accouplés 2 par 2 sur 6 boggies, 3 sur un unique chariot central et 2 galets indépendants à chaque extrémité (avec suspension indépendante pour aider à franchir les obstacles). En raison du poids énorme du T-42, celui-ci devait être équipé d'un modèle hydropneumatique Polutankov censé lui fournir une relative souplesse en tout-terrain. Cette technologie bien que connue des ingénieurs soviétiques depuis longtemps avait très peu été employée sur les engins militaires. Chaque galet du train de roulement devait être solidaire d'un vérin pneumatique, fonctionnant avec les gaz d'échappement (ou alors un compresseur d'air). Ce système occupait toute la hauteur des flancs. Les gaz était utilisé pour faire varier l'assiette. La suspension était assistée par des absorbeurs de chocs pour fournir un meilleur confort lors des déplacements.
-
Moteur
Pour ce char, l'ingénieur Grotte jugeait insuffisante la résistance d'une boîte de vitesse mécanique en raison de l'énorme masse du futur char et de la puissance moteur à transmettre, donc c'est une transmission électrique qui devait être installée. Un moteur unique de 2 000 ch fut jugé nécessaire pour mouvoir ce mastodonte. En fait, il aurait fourni une puissance massique de près de 20 ch/t, ce qui était très élevé pour l'époque. Par comparaison, le T-35 possédait 11 ch/t seulement. Cependant, ce rapport était trop élevé pour les moteurs existant dans les années 30. Une configuration en H était possible mais aurait nécessité un très gros effort d'ingénierie pour une utilisation sur un seul char. Il fut donc proposé d'installé 2 moteurs de 12 cylindres (24 cylindres au total). L'installation de 2 moteurs peut expliquer l'allongement très notable de la caisse à l'arrière. À l'époque le moteur russe le plus performant était le Mikulin M-17M (dérivé d'un V12 allemand dérivé de l'aéronautique) refroidi par eau fournissant seulement 500 ch. Dédoublé, celui-ci n'aurait donc pu fournir que 1 000 ch. En attendant un peu, les Russes auraient pu utiliser le V-12 diesel V-2-34 ultramoderne, qui sera installé sur un blindé qu'à partir de 1937 (il équipera notamment le T-34 et le KV-1). Malgré tout, ce dernier ne fournissait que 600 ch et dédoublé : 1 200 ch. La solution aurait pu venir de la marine avec le montage de 3 moteurs essence GAM-34 BS-F (datant de 1934 et équipant les vedettes Type G5) développant ensemble environ 2 000 ch. Encore fallait-il réussir à les installer dans l'espace confiné d'un char de combat. On le voit, à cette époque fournir un bloc moteur suffisant pour un tel monstre aurait poser de gros problème à l'industrie soviétique sans au final pouvoir lui garantir une fiabilité et une vitesse satisfaisantes. Avec une vitesse maximum sur route estimée à 27 km/h (plus vraisemblablement 20 km/h), le char aurait très lent et en raison de sa longueur exagérée très peu manœuvrable. On peut aussi penser que la consommation en carburant de ce mastodonte aurait été difficile à satisfaire pour la logistique russe sur le champ de bataille.
-
Autres
Le T-42 aurait été manœuvré par un équipage de 14-15 hommes. Les dimensions du char auraient sans doute permis d'installer une salle de communication complète, équipée d'une radio 71-TK-1 d'une portée de 8 km (dans des conditions météo optimales). La tourelle principale devait accueillir une antenne cadre épousant son pourtour. Le système interne de communication est cependant inconnu mais sans doute similaire à celui du T-35 ; un tableau avec des voyants lumineux indiquait au chef de char la position des autres tourelles. La gestion du char et surtout la coordination des tourelles n'aurait pas été simple pour le chef de char avec ce système. Sur le T-35, le pauvre n'y parviendra jamais vraiment. En effet, il était quasi impossible de rationaliser le feu des différentes tourelles. Comme pour le T-35, dans la réalité, chaque tourelle aurait fait feu sur chaque objectif passant dans son champ de vision sans aucune concertation, avec le risque de gêner l'action des autres tourelles ou d'engager excessivement le même objectif (le principe d'un char multi-tourelle est bien de pouvoir engager plusieurs objectifs à la fois) en négligeant les autres. Les Soviétiques tentèrent bien d'utiliser les méthodes de coordinations employées sur les navires de guerre mais sans véritable succès.
-
-
Conversions
En plus de la configuration à 5 tourelles, il fut envisagé une configuration à 3 tourelles. La principale placée au centre pivotait sur 270°, toujours armée d'un canon de 107mm. Elle était précédée d'une seule tourelle à l'avant du char, pivotant sur 202°, équipée d'un obusier court de 76,2mm. A l'arrière, la dernière tourelle, pivotant sur 278°, accueillait un canon de 45mm. L'usage appui-feu est ici encore plus privilégiée (par rapport à un usage AT). Le T-42 dans sa version 100 t était déjà un géant impressionnant, pourtant les Russes envisagèrent un titan encore plus lourd, avec un armement principal constitués de nombreuses pièces de gros calibres. En avril 1934, l'ingénieur LS Trojans (Leningrad) proposa un char de 300 t monté sur une suspension hydropneumatique Polutankov. Cette version du T-42 aurait aussi été équipée de 5 tourelles. La principale aurait accueilli un obusier de 203,2mm, les 4 tourelles secondaires accueillant un canon de 152,4mm ... un véritable croiseur terrestre doté d'une puissance de feu sans équivalent. Cependant ce projet fut finalement écarté, jugé trop déraisonnable. Les problèmes connus par le T-35 et craints pour le T-42 de 100 t auraient ici été encore amplifiées … sans oublier la difficulté pour l'industrie russe de fournir un bloc moteur adéquat pour mouvoir une telle masse. Il est fort probable que le triplement de la masse du char aurait été due à une notable augmentation du blindage (à confirmer).
-
Devenir
À la vue de l'expérience de combat du T-35 similaire, obtenue dès l'été 1941 lors de l'opération Barbarossa, il est évident que s'il avait existé, le T-42 aurait joué un rôle anecdotique sur les champs de bataille. Comme le T-35, il aurait été peu fiable et aurait sans doute connu les mêmes ennuis mécaniques encore aggravés par son poids formidable de 100 t. Les performances militaires du T-35 passèrent totalement inaperçues. Inexploitable sur le terrain, il ne fit vraiment le bonheur que des seuls photographes de la propagande allemande, trop heureux de disposer d'un tel trophée. Encore plus que le T-35, avec ses dimensions hors-normes, le T-42 aurait été une cible parfaite pour les Stuka et l'artillerie allemande. Difficile en effet de rater un tel mastodonte qui ne pouvait vraiment compter sur sa vitesse et une protection efficace. Il aurait été aussi dans l'incapacité d'emprunter la plupart des ouvrages existants (ponts, rues, routes, virages et carrefours routier). Des solutions auraient dû être trouvées pour son acheminement vers le front, aucune solution ferroviaire adéquate n'existait en effet. On peut aussi douter de ses capacités en tout-terrain, surtout sur des sols meubles et boueux en raison de son poids et ses capacités à se déplacer facilement dans des endroits confinés et au relief difficile à cause de ses dimensions (17,5 x 6,52 x 5,13 m). On peut cependant penser qu'il était capable de franchir facilement tout fossé AT, tranchée, ... présents sur son chemin.
T-42 Polutankov